Dans un recoin du Styx

Le fleuve prenait une couleur un peu grisée ce matin là. Les flots charriaient divers bout de bois et détritus plus ou moins agréables à l’œil et plus ou moins toxiques. Il fallait dire aussi qu’en ce point là, on se trouvait en aval de la bouche d’égout. Point que ne fréquentait pas Ashmay qui, lui, se trouvait plusieurs centaines de mètres en amont. Il voyait du coin de l’œil la barque Charon et Charon lui-même et sentait par là une certaine présence rassurante. C’était le seul inconvénient à la pêche : la solitude. Il fallait dire qu’il n’avait encore jamais trouvé de personnes qui aimaient ce loisir et qui soient disposées à le faire en même temps que lui.

Ashmay se pencha un peu en avant, cessant de mâcher le chewing-gum goût fraise - menthe verte, le calant dans un coin de la bouche, observant avec le plus grand intérêt le bouchon aux couleurs vives qui ne flottait plus tant que cela sur l’eau. Il sentait le poisson goûter au ver qu’il avait disposé sur l’hameçon. Le ‘jeune’ homme attendit. Le moment propice n’allait plus tarder. Il entendit des pas derrière lui. Il fronça les sourcils. C’était bien la première fois qu’il espérait que la compagnie tant attendue attende encore un peu avant de venir. Pourvu que le poisson ne parte pas à cause de son ombre !

Ashmay retint son souffle, vit une masse plus foncée s’approcher ce son bouchon et au moment où il sentit une légère vibration sur sa canne, il tira d’un coup sec. Il sentit avec l’habitude d’un grand pêcheur qu’il faudrait lutter un peu pour ramener celui-là à la surface. Il l’avait bien ferré mais il résistait. L’esclave se redressa, se penchant en arrière et entama la lutte contre la poiscaille. Lutte qui s’acheva après quelques instants dans de grandes éclaboussures qui allèrent asperger la majorité des alentours. L’ombre n’y prit garde sautillant un peu de joie et se retournant, s’adressant à la compagnie enfin implicitement autorisée à s’approcher :

« Z’avez vu, eh ? Z’avez vu ? Il est super gros ! Z’avez vu comme il est gros ? »

L’animal écaillé pesait en effet son kilo au minimum. Ashmay conclut ses questions d’un bon claquement de bulle du chewing gum qu’il s’était remis à mâcher.

Enveloppée dans les quelques couvertures de soie qui agrémentaient son lit, les paupières encore closes et les traits détendus, Gwen Maledort s’étira de tout son long et émergea peu à peu de son sommeil. Comme chaque matins, étourdie, elle posa ses pieds nus sur le plancher, se débarrassa de ses draps, passa une main dans ses cheveux et se dirigea machinalement vers ses volets qu’elle s’empressa de rabattre d’un geste gracieux. Quelques instants, elle contempla avec bonheur le ciel gris, les quelques nuages de brume et le peuple qui grouillait dans les rues comme s’il était déjà onze heures.

A pas lents, pensive, elle se saisit de ses robes longues pour les poser sur son lit, mais bien vite, elle fronça les sourcils. Comme s’il était déjà onze heures ? Derechef, elle se hâta de passer sa tête au dehors et de jeter un coup d’œil à la haute tour.

« Quoi ?! Dix heures quarante cinq ?! Oh diableresse !! »

S‘écria-t-elle sous l’effet de la surprise. Elle se débarrassa bien vite de sa robe de chambre et la jeta au sol non sans impétuosité. Elle se vêtit à la va-vite de ses corsets et de ses robes, qu’elle jugeait décidément trop alambiquées à enfiler ; ses idiots de couturiers ne pensaient-ils donc jamais aux damoiselles qui se levaient un peu tard ?! Avant de passer à la salle de bains et de se débarbouiller le visage à l’aide d’un gant de toilette trempé. Elle s’essuya d’une main avec un essuie, et de l’autre elle se saisissait déjà de sa brosse à cheveux.

Ses cheveux convenablement noués, malgré sa célérité, elle tamponna son visage de poudre blanche. Ceci terminé, elle ouvrit d’un geste brusque sa boîte à bijoux, accrocha ses boucles d’oreilles et enfila son collier ainsi qu’une bague sertie de rugbys et de saphirs à l’auriculaire gauche.

Fin prête, elle attrapa le morceau de pain rassis et le verre de lait qui avait soigneusement été posés par une autre servante sur sa table de chevet. En deux-trois bouchées, elle eût terminé le tout qu’elle redéposa à sa place initiale, renversant maladroitement tasse qu’elle ne prit pas le temps de remettre en place. Après tout, la femme de chambre servait à cela, non ? Elle avait déjà suffisamment de corvées et de retard pour se préoccuper du travail des autres.

Elle dévala les escaliers et répondis à peine aux salutations des autres domestiques qu’elle croisait sur son passage. Arrivée devant les vestiaires, elle interpella une vieille femme qui tenait sagement son poste entre deux inspirations.

- Marianne dites-moi qu’ils ne sont pas encore levés, je vous en conjure !
- Haha notre amie ce serait-elle encore levée trop tard ? Et quoi ? Le réveil n’a pas sonné ?

Gwen répondit par une grimace, presque en sautillant sur place.

- Ah mais cessez donc de tergiverser je vous prie ! Je vous ai posé une question, vite !
- A vrai dire, non ils ne sont pas encore debout. Mais songeant que vous ne vous lèveriez pas avant midi, je me suis occupée de votre travail.

Répondit l’autre en riant. La retardataire soupira de soulagement.

« Merci, me voila rassurée Marianne ! Je savais que je pourrais compter sur toi ! »

Elle se mit à courir et cria à l’intention de son amie avant de disparaitre dans les couloirs :

« Je te revaudrais ça ! C’est promis ! »

Elle pressa sa course en direction des écuries, et se retrouva bientôt à caresser les naseaux d’un étalon noir qu’elle fixait presque avec un regard amoureux. Le sourire aux lèvres, elle lui murmura quelques doux mots à l’oreille avant de porter son regard sur une flaque d’eau qu’elle n’avait pas remarquée, due à un sceau d’eau qui avait malencontreusement été renversé.

Lentement, elle laissa glisser sa main le long du chanfrein de l’animal, pour se rapprocher de la petite mare. Avec un léger sourire, elle enleva sa veste de soie pour la poser sur la porte d’un box. Elle ferma les yeux et compta trois secondes dans sa tête. Elle se laissa alors tomber au sol, comme si elle venait de s’évanouir, et tomba tête la première dans la flaque. Derechef, elle laissa trois secondes s’écouler, puis se releva tout en déclarant :

« 119 sur 333 ! »

Elle se frotta le visage à l’aide d’un chiffon propre qu’elle jeta de suite dans une poubelle, frotta ses vêtements quelques peu poussiéreux et se revêtit de son manteau.

« S’évanouir face la première dans une flaque d’eau. Correcte ! »

Elle soupira de satisfaction, se frotta les mains et posa un délicat baiser entre les naseaux du cheval qui venait d’hennir, la tête dehors.

Mais une force poussa alors l’immortelle à marcher en direction du marais du Styx. Pour quelle raison ? Elle haussa les épaules ; aucune espèce d’importance, cela, elle y réfléchirait plus tard. Probablement les Dieux la poussaient-elle encore une foi à partir voir quelque chose, la dirigeait, la contraignait à partir à l’encontre de son destin.

De loin, elle aperçu un jeune homme qui, tranquillement, fixait le long de la rive. A cette distance, elle ne pouvait voir ce qu’il faisait, mais en se rapprochant elle compris qu’il était en train de pêcher. Les Dieux voulaient qu’elle s’adresse à cet inconnu ? … Et bien qu’il en soit ainsi !

Elle avança jusqu’à se tenir proche de son dos. Il semblait captivé par ce qu’il faisait, aussi, elle décida de ne pas le déranger et d’attendre qu’il eût terminé sa besogne. Elle du d’ailleurs se reculer vivement pour ne pas être déséquilibrer lorsque l’inconnu décida de se relever pour ne pas que son poisson lui échappe.

Mais bientôt il se retourna pour lui tendre son trophée d’une main habile en s’exclamant quelques vantardises. Un instant, elle se demanda si l’homme irait se jeter dans l’eau du Styx au cas où elle lui arracherait le poisson des mains et l’y balancerait. Pourtant, bien que la tentation n’y manque pas, elle ne chercha à confirmer ses questions. Elle avait déjà suffisamment de problèmes comme cela, et attirer un mauvais regard d’inconnus n’était pas une bonne chose.

Mais peut-être étaient-ce les Dieux qui le lui demandaient inconsciemment ?

Il ne fallu pas plus de questionnement à la jeune femme pour se décider. Elle se saisit et, directement, le balança à l’eau.

Toutefois, une nouvelle illumination lui fit savoir que c’était mal ; elle se rendit compte qu’il s’agissait là donc d’une bêtise d’avoir agit comme cela, et porta une main désolée à sa bouche. Bien sur que non l’homme n’allait pas plonger dans l’eau du Styx !

« Oh je suis vraiment désolée ! »

Déclara-t-elle en reculant d’un pas.

« Je vous assure que ça n’était pas intentionnel ! »

Quelques instants, elle le fixa droit dans les yeux avec un regard réellement confus, mais bientôt un nouveau besoin la contraint à le détourner pour le poser sur la cane à pêche. Elle fixa son hameçon les sourcils froncés.

« Si l’on s’enfonce accidentellement cette pointe dans une artère, on meurt… »

Elle se releva et déclara avec triomphe :

« 120 sur 333 ! »

Avant de reporter son attention sur l’inconnu.

« Encore navrée pour votre poisson. »

Elle fit une brève révérence pour mieux enchainer.

« Je me présente ; Gwen Maledort. Mais… A qui ais-je l’honneur ? »

Ashmay n’eut pas trop le temps de voir grand-chose. Presque immédiatement après qu’il ait brandit son trophée de pêche, il vit le même trophée prendre la voix des airs et effectuer le chemin inverse. L’ombre suivit l’animal du regard, sa corne soulignant la trajectoire empruntée. Il était un peu pétrifié jusqu’à ce qu’un ‘plouf’ retentissant le sorte de cette transe. Il sursauta en s’exclamant et portant ses mains à sa tête :

« MON POISSON ! »

Il se vautra à plat ventre plongeant les bras dans l’eau autant qu’il le pouvait pour essayer de rattraper, en vain, l’aquatique. Après quelques instants, il se releva tout en regardant l’eau du fleuve et la tâche sombre qui le narguait. Ses épaules étaient affaissées comme sous un poids trop grand et une voix triste surgit faiblement :

« Mon poisson… »

Il se redressa et se retourna montrant plus de volonté. Son regard semblait éveillé et prêt à demander des explications.

« Mais pourqu !? »

La tirade commencée sur un ton énervé qui ne lui ressemblait pas s’arrêta net dans sa gorge. Il baissa immédiatement la tête et reprit d'une voix calme et sans intonation :

« Veuillez excuser mon insolence, Madame. J’espère que cela ne vous aura pas trop dérangé. Je vous remercie également de m’avoir montré mon erreur en vous ennuyant avec ma prise. »

L’être n’avait pas bougé mais l’on sentait le non-dit dans ses paroles. Il entendit d’autres paroles que celles escomptées. Il releva la tête de surprise. Une pointe ? Quelle pointe ? 120 sur 333 ? Mais ? Mais ? Il avait fait ses excuses et ! Il baissa à nouveau la tête mais un peu moins : il lui jetait désormais de nouvelles œillades discrètes, réfléchissant comme il le pouvait. Elle dût l’apercevoir et s’excusa à son tour avant de se présenter. Ashmay n’y comprenait à nouveau plus rien. C’était une noble dame, au vu de ses bijoux et de ses habits. Mais elle se comportait étrangement. Peut-être était-ce une fille de noble un peu simple qui avait échappée à la garde de ses tuteurs ? Il la regarda encore une fois. Elle était vraiment magnifique et la révérence était digne. Tout comme son port. Ashmay se ratatina un peu en murmurant du bout des lèvres :

« Je m’appelle Ashmay, Madame. Ashmay Cuhuac. »

Dans une moue de dégoût, il se décida. Le mouvement de sa corne montra qu’il relevait un peu la tête :

« Où se trouve votre demeure, Madame ? Je vais vous raccompagner là-bas… Je me dois de vous raccompagner là-bas ! Mon maître ne permettrait pas à ce que je laisse une Dame, telle que vous seule s’égarer dans ces lieux.»

Il fallait dire que Schéol n’était pas toujours très fréquentable. Et que le maître avait beau être le marchand chez qui il logeait en ce moment, il le féliciterait de cette action. Cela pouvait toujours faire une cliente pour lui. A condition qu’il laisse son nom. Mais il n’osait plus dire grand-chose. Il jeta un coup d’œil derrière lui. Sa canne… Pouvait-il la laisser là ? Non, elle aurait disparue à son retour. Mais il ne pouvait pas laisser une libre un peu folle ainsi.

Enfin… Tous de même ! Même si l’inconnu ne s’était pas jeté à l’eau comme Gwen eu pu l’espérer, il fallait avouer qu’il n’en était pas loin. Ainsi vautré sur le sol, à secouer les bras pour, dans une vague de désespoir, tenter de récupérer son butin… Il avait l’air bien ridicule ! Cette attitude poussa même l’immortelle à sourire en coin ; décidemment, elle n’avait peut-être pas si mal fait. Aujourd’hui, les Dieux devaient être avec elle !

Un instant, elle avait hésité à le pousser dans l’eau afin qu’il ne se décide à rejoindre ce qu’il recherchait, mais elle se retint pour de bon. Il n’était pas question d’attirer le mauvais sort sur sa personne. Puis… L’étranger n’avait pas l’air bien mauvais ; son devoir était donc de faire preuve de bonté à son égard.

Pourtant, lorsque l’envie de se lamenter se dissipa dans l’esprit de sa nouvelle connaissance, Gwen se contraignit à baisser le regard ; face à autant de conviction, elle ne pouvait en faire autrement, surtout qu’elle était en tord, et dans un jour où les Dieux lui avaient demandé un minimum de respect. Il n’empêche qu’elle compterait bien s’expliquer ! Simplement, sans défier son interlocuteur par l’intermédiaire de ses yeux…

Toutefois, elle n’eût besoin de recourir à aucun stratagème que l’homme s’était déjà calme. Etrange personnage… Elle inclina la tête vers la droite pour à nouveau le regarder dans les yeux, cherchant probablement à comprendre ce qui l’avait poussé à se reprendre. Une lueur d’intérêt s’alluma dans les yeux de la jeune femme ; peut-être que lui aussi, était commandé par les Dieux ?! Non… Impossible ! Certainement s’agissait-il simplement de quelqu’un qui avait l’habitude de se plier à divers règles sans broncher.

Quand l’inconnu se présenta à elle, avec un air décidemment gêné, elle se remémora les mots qu’il avait prononcés juste avant qu’elle ne s’intéresse à son hameçon. Tiens… Il avait dit un peu plus tôt qu’il avait du l’ennuyer avec son poisson ? Etrange personnage… Mais au moins, il avait de l’humilité ! Elle prit la parole, ses yeux tranquillement posés sur la barque de Charon.

« Rassurez-vous, jeune homme. Pour tout vous dire, si vous m’aviez ennuyé avec votre poisson, je me serais contentée de vous faire la remarque… »

Le voir ainsi indécis la mettait en fait un peu mal à l’aise ; il fallait dire qu’il s’agissait là d’une aptitude à laquelle elle n’était plus vraiment habituée. Et autant elle appréciait contrarier les esprits autoritaires et trop sûrs d’eux, autant elle admirait la patience des gens calmes et soumis.

Ainsi donc, il s’agissait d’une ombre ? Probablement cela expliquait-il le fait qu’il se soit repris quand il s’énervait sur elle… Mais, croyait-il qu’elle était elle-même une âme pour rester aussi poli ? Oh, et puis, pourquoi le lui faire remarquer concrètement ? S’il s’en rendait compte, tant pis, si pas, tant mieux.

Elle le laissa terminer, sans un mot de plus, et quand elle fût certaine que ce fût fait, elle reporta son regard dans celui de son interlocuteur après l’espace d’une courte pause.

« Je dois dire que ça faisait longtemps que l’on ne s’était préoccupé de moi. »

Déclara-t-elle, le sourire attaché aux lèvres, et les sourcils légèrement haussés.

« Non que je trouve cela désagréable, loin de là ! Simplement que je me demandais ce que vous auriez vraiment à en tirer… Honnêtement, si je suis… »

Commença-t-elle en se déchaussant, posant contentieusement sa paire de sandale derrière elle.

« Venue ici, ce n’est certainement pas pour repartir au bout de quelques échanges. Je vais même vous dire ; je préfère demeurer ici que chez moi. »

Continua-t-elle en glissant ses pieds dans l’eau et en s’asseyant sur le bord de la rive.

« Puis vous sembliez inquiet pour ce qui adviendrait de votre canne à pêche. Si cela vous tient vraiment à cœur, vous n’aurez cas me raccompagner quand vous aurez terminé vos besognes. A la condition que celles-ci ne dure ni trop de temps, ni trop peu. »

A vrai dire, elle devait être rentrée avant le repas du soir –Puisque ses maîtres, ayant fait la fête jusqu’à trop tôt le matin, avaient ratés celui du matin et que Marianne s’était gentiment occupée de la table pour midi, elle était libre jusque là.-

Trois fois, elle se frotta les mains, puis les posa sur le bord afin de se tenir en équilibre avant d’à moitié se retourner pour derechef avoir de vue son interlocuteur, un étrange sourire attaché aux lèvres.

« A moins que ma présence ne dérange, bien sur… ! »

Elle marqua une courte pause, ses yeux se baladant à nouveau aux travers de tous le paysage.

« Qui est votre maître pour se soucier du sort d’une parfaite inconnue ? »

En effet, elle ne savait que trop bien que jamais ses maîtres ne se seraient posés la question. Et sans doute aurait-elle agit comme tel.

*Hein ?*

Ashmay releva à demi la tête. Il ne comprenait plus, elle n’avait pas d’esclave ? Pas de domestique ? Non, impossible, il lui suffisait de vendre un seul de ses bijoux pour pouvoir s’en acheter au moins trois. Enfin… Ce chiffre dépendant bien évidemment de l’évolution du marché. Mais alors pourquoi disait-elle que personne ne s’occupait d’elle ? Elle dût en tout cas se méprendre sur la signification de son regard interrogateur et maintenant posé sur elle. Il la vit se déchausser puis s’asseoir juste à côté de l’endroit où il se trouvait précédemment. Il ne put s’en empêcher, complètement surpris, et regarda autour de lui. Il n’y avait rien à voir de particulier pourtant. Un paysage quasi désertique de l’autre côté, un poil plus luxuriant de leur et La barge de Charon en toile de fond. Il reporta finalement son regard sur la fille qui avait maintenant les pieds dans l’eau.

« Et bien, euh… Avec la pêche, cela devient généralement plus long que trop court. Il faut attendre que la poiscaille arrive. Je ne suis pas de ceux qui vont la chasser en apnée. »

Finalement, après quelques nouvelles secondes d’indécision, il revint s’asseoir près du bord et releva sa canne à pêche pour y mettre un ver qui gesticulait dans une petite boîte non loin. Il allait lancer sa ligne lorsque la fille se retourna vers lui et lui posa des questions. Il la regarda quelques secondes en clignant des yeux, un peu étonné puis baissa la tête et se mit à rougir.

« Et bien, madame, je suis ravi de votre compagnie, même si je crains de vous ennuyer quelque peu. Je n’ai pas le niveau de conversation que celui dont vous devez avoir l’habitude… »

Il attrapa un instant l’hameçon et l’appât entre son index et son pouce. Et après un court instant de silence reprit :

« Cependant, madame, je n’aimerai pas vous offenser mais… J’ai promis à mon maître de lui ramener du poisson pour son repas ce soir et… Je n’y arriverai jamais si vous restez les pieds dans l’eau… »

Il n’osait pas formuler plus sa demande. Et puis, elle était une maître par nature ! Elle devrait comprendre, elle devait comprendre ! Quoiqu’elle était justement une maître aussi. Elle avait le droit de lui faire rater ce qu’elle voulait et de lui faire ce qu’elle voulait. Il lança finalement sa ligne d’un geste plus sûr que ses sentiments. Lorsqu’elle lui posa la question, il lui répondit sans même la regarder, désormais concentré sur son bouchon.

« Et bien, il s’agit de Monsieur N’Djamena. Je ne peux pas vraiment dire qu’il s’agit de mon maître en fait, même si techniquement, il l’est. C’est mon marchand. Je suis en vente. Mon ancien maître s’est fait plumé aux cartes et, du coup, bin… Je suis au bon vivant. Normalement, je pars plus vite que ça mais là… Je sais pas les gens doivent être frileux, en fait, il veulent tous des rebelles. Ils n’ont demandé que ça ces derniers jours. Mais vous, madame, vous qui devez vous y connaître, que veulent les maîtres en ce moment ? Il y a encore de l’avenir pour les esclaves comme moi ? Vous devez bien le savoir ? Qu’est ce qui se dit en ce moment dans les salons et les fêtes ?»

Finalement, il avait tourné la tête pour la regarder avec son regard suppliant et triste habituel.

[méga désolé du retard. >.<]

Le regard vide de toute compréhension que lui avait lancée l’ombre alors qu’elle expliquait qu’elle n’avait point d’esclaves confirma les doutes de Gwen. Ce jeune homme était persuadé qu’elle était une âme. Sans doute à cause des vêtements et des bijoux qu’elle portait … En effet, elle avait eu la chance de tomber sur des maîtres de bonne famille qui exigeaient que leurs serviteurs soient convenablement vêtus. Ce qui ne déplaisait guère à l’humaine, il fallait bien l’avouer.

Autrefois, ses parents sortaient souvent le soir, et petite fille, elle adorait regarder Maman s’habiller de longues robes de satin ou de mousseline aux décolletés plongeants, choisir longuement devant sa coiffeuse les bijoux, perles ou diamants, qui les mettraient en valeur, puis, scintillante, descendre l’escalier vers Papa qui patientait en bas, rayonnant dans son smoking tour à tour blanc ou noir.

Et maintenant, bien qu’elle ne se trouve en position déplorable, c’était à son tour de resplendir de mille feux.

Immobile, le regard perdu dans le ciel, ce n’est que lorsque l’inconnu, appelé Ashmay, eu répondit à sa dernière question que Gwen se réanima. Comme si l’on avait soudainement remplacé des piles plates d’un appareil quelconque.

Suite à une demande des Dieux, c’est pourtant d’une manière assez particulière qu’elle répondit à tout ce qui lui avait été dit, demandé, ou ordonné. Elle repassa en quelques sortes la bande audio de tout ce que venait de lui conter l’ombre dans sa tête et énonça une à une ses réponses -où ses actions-, comme si elle revivait une deuxième fois la scène.

« Dans ce cas je partirai quand le soleil sera environ … Hm … ici. Ca devrait correspondre à l’heure à laquelle on m’attend chez moi. »

Commença-telle en montrant un coin du ciel du bout de l’index.

« Pourquoi ne pas pêcher en apnée ? Vous n’aimez pas l’apnée ? C’est pourtant quelque chose de bien plaisant. Et pourquoi avez-vous rougit quand je vous ai regardé ? Je suis certaine que converser avec vous me sera plus agréable que de converser chez moi avec mon entourage… Et … Oh ! Excusez-moi je n’y avais pas vraiment pensé ! »

S’exclama-t-elle brusquement en retirant ses pieds de l’eau.

« Vraiment, vraiment, je suis navrée ! »

Elle fronça les sourcils et pencha légèrement la tête à droite, marquant ici une pause bien plus marquée, puisque ce qu’avait dit Ashmay s’était fait de plus longue durée.

« Ce que veulent en ce moment les maîtres et ce qui se dit dans les salon de fête ? Hm … Tout dépend en général de la personnalité de chacun, mais il est vrai que, pour le moment, beaucoup de rebelles son achetés. Je suppose cependant que ce n’est qu’une vague et que, bientôt, la mode des esclaves modèles reverra le jour. Après tout, l’avenir est un long passé. Je pense qu’ils trouvent cela plus intéressant d’avoir à leur service des récalcitrants, comme ca ils ont de bonnes raisons pour les maltraiter, ont de quoi se plaindre, et de quoi raconter à leurs proches. Mais je ne suis pas certaine. Ce n’est qu’une hypothèse. »

Elle haussa les épaules.

« Mais je ne comprend pas de quoi vous vous plaignez. Je préfèrerai être au service d’un marchand plutôt que d’être acheté par un probable malotru … »

[Mouis bah euh … Pardon aussi parce que là je n’ai vraiment pas fait mieux '^^]

Ashmay sourit. Il n'avait pas l'habitude de tomber sur quelqu'un qui répondait à toutes ses questions et commentaires. C'était pour le moins... déstabilisant. Et étrange. Et amusant. Bref nouveau. Mais pas facile à répondre. Il fallait dire que lui aait lancé une stratégie qui s'était lancée en habitude. Il lançait plein de sujets divers comme ça, il en avait au moins un sur lequel son interlocuteur voulait bien s'exprimer. Mais alors quand on lui répondait à tous ! Et puis de cette façon qu'elle lui avait répondu ! Elle devait avoir une excellente mémoire à court terme. Il avait tout lancé et une fois qu'il avait totalement terminé, elle avait répondu à tout. Bon, dans un sens, c'était normal qu'elle sois aussi douée, c'était une libre. Une libre un peu siphonée mais une libre tout de même donc douée de qualité qu'il ne possédait pas. Un point c'était tout.

Sa réflexion avait duré quelques secondes. Ce qui est bien dans la pêche, c'est que l'on peut penser tranquillement, les gens croiront toujours que vous êtes absorbés par le poisson. Bien des pêcheurs avaient usés et abusés de cette technique ce qui avait conduit, au fil des siècles et des générations, à amener la pêche à la ligne au rang d'art. Ce qui, pour Ashmay, était loin d'être le cas. Il tira deux trois fois sa canne, soulevant la ligne, l'hameçon et l'appat de quelques centimètres puis relâcha son poignet. On avait beau rester dans ses pensées, on pouvait tout de même faire bonne figure.

"Et bien, euh... Pour l'apnée, en fait c'est que je ne sais pas très bien nager. Je viens d'un pays de montagnes et de ruisseaux quand il y a des ruisseaux. Donc l'apnée... Vous voyez... D'où est-ce que vous venez, vous ?"

Pendant que la fille parlait, l'esclave reporta son attention sur l'eau. Il avait cru déceler une ombre parmis les flots. Son corps entier s'était tourné vers les eaux et il allongeait le cou pour mieux voir encore. Lorsque l'alerte fut terminé, il se décontracta et se réinstalla confortablement sur la berge, pliant ses jambes sous lui et reprenant tranquillement la conversation là où elle l'avait laissé se promettant de lui répondre quant à sa question sur les marchands et les malotrus. Il avait des sentiments, des sensations qui lui prouvait qu'il avait raison mais il cherchait maintenant les mots qui correspondaient. La conversation qui déviait lui donnerait le temps de les trouver...

[pas grave ! ^^ Mais essayons de faire plus court, cela sera plus facile que de traiter des milliers de sujets à la fois...]

Après avoir déblatéré ses réponses, qui perdaient en partie leur sens, aux vues de comment elles avaient été exposées, Gwen contempla son nouvel ami. Celui-ci semblait plongé dans son activité, si bien qu’elle murmura à voix basse :

« Quelle maitrise … »

Sans doute ne faisait-il désormais plus qu’un avec sa canne à pêche, prêt à sentir la moindre vibration au bout de son hameçon. Seul le regard vide de l’homme en question pouvait porter à confusion, mais, trop absorbée par la finesse et la précision de ses gestes, l’humaine n’y prêtait guère attention.

« Je comprends mieux les raisons pour lesquelles cette pratique est qualifiée d’art. Comme le sabre est l’âme du guerrier ou le miroir celle de la femme, la canne à pêche doit-être celle du pêcheur … »

Songea-t-elle à voix haute.

Ashmay repris la conversation, sortant la jeune femme de sa rêverie. Elle releva la tête et déclara tout sourire :

« Je suis française, plus exactement du Gévaudan. »

Expliqua-t-elle simplement avant de marquer une pause.

« Dite-moi, il faut tout de même venir d’un étrange pays pour ne pas apprécier les vertus de la natation … Je présume que vous êtes ici depuis quelques temps déjà, aussi, si vous l’aviez ardemment désiré, vous auriez pu apprendre à vous perfectionner dans le Styx, je me trompe … ? Aussi, puis-je me permettre de vous retourner l … Mais enfin, que regardez-vous ? Il n’y a pourtant rien là-dedans ! »

Déclara-t-elle soudainement, ayant au préalable jeté un regard aux flots sans n’avoir rien aperçu d’anormal. Elle plongea ses mains dans le liquide afin d’éclabousser l’esclave.

« Regardez, cette eau a toujours une couleur normale ! Pure, et, j’en suis certaine, toujours aussi délicieuse. »

Ajouta-t-elle, un sourire amusé dessiné sur ses lèvres.

« Etrange pourtant, que l’eau du monde des morts respirent autant la vie … »